Ne me parle pas de ton projet, dis-moi pourquoi tu le fais !

La vraie raison d’être d’un projet est instinctive, il faut prendre du temps pour la trouver

Maxime de Beauchesne
7 min readSep 19, 2018

“À quoi ressemblerait un monde dans lequel ton projet ne serait plus nécessaire ?”

J’aime poser cette question à tous les entrepreneurs que je croise. Je la trouve intéressante car elle oblige l’entrepreneur à ne plus parler de son projet, mais à se projeter dans sa vision d’un monde utopique. Elle le force à se détacher de ce qu’il fait concrètement pour se poser (enfin) la question : à quoi je veux servir et à quel monde je veux participer. Il se concentre ainsi sur ce à quoi il aspire et cela lui permet de ne plus voir son activité comme une finalité, mais comme un moyen de poursuivre son ambition.

Finalement, ce que je questionne de cette manière, c’est le sens du projet. Une anecdote raconte que lors d’une visite à la NASA, John Kennedy aurait demandé à un homme de ménage ce qu’il faisait et le balayeur lui aurait répondu: “je participe à envoyer le premier homme sur la lune”. J’aime cette histoire car elle illustre très bien la puissance d’un rêve partagé.

Ce rêve partagé s’appelle la raison d’être d’un projet et c’est un formidable outil pour avancer. C’est un sujet récurrent et particulièrement d’actualité. Pour ne citer qu’un exemple, le gouvernement français souhaite s’attaquer à la redéfinition d’une entreprise et un très récent rapport propose en seconde recommandation : “confier aux conseils d’administration et de surveillance la formulation d’une « raison d’être » visant à guider la stratégie de l’entreprise en considération de ses enjeux sociaux et environnementaux.”

Cependant, au-delà de cette actualité, ce que je constate et que je souhaite partager ici, c’est une intime conviction :

Tout projet entrepris possède une vraie raison d’être qui nous pousse à l’entreprendre mais il y a un risque fort de passer à côté.

Tout projet possède une raison d’être, mais elle est cachée

Je ne crois pas qu’on lance un projet uniquement pour des raisons business. De nombreux entrepreneurs disent lancer un projet car ils ont vu une opportunité business. C’est probablement vrai, mais des opportunités business, il y en a une infinité, alors ce qui m’intéresse c’est : “pourquoi avoir choisi celle-là ?”.

Certaines raisons sont vérifiables: il peut y avoir les compétences, une rencontre ou le hasard, mais je pense aussi (et surtout) qu’il y a des raisons plus personnelles. Je ne parle pas forcément d’une volonté forte de résoudre un problème de société ou de dédier tout son projet à une cause, mais simplement d’aspirations personnelles.

Le problème de ces aspirations c’est qu’elles sont rarement conscientes au lancement du projet. Je dirai qu’elles sont plutôt de l’ordre de l’instinct. On sent quelque chose qui nous pousse, on se dit que c’est le bon choix et on rationalise avec les raisons évoquées précédemment, mais on passe à côté de l’essentiel.

En fait, je suis convaincu que la première intuition est toujours alignée avec « qui on est » et « ce à quoi on veut participer », mais que si on ne prend pas le temps d’en prendre conscience on risque de s’en écarter. Cela peut par exemple arriver au moment d’une décision stratégique comme celle de s’associer, de lever des fonds ou de faire un pivot.

Le risque de ne pas avoir conscience de cette “raison d’être”, c’est de participer à un projet qui nous ressemble de moins en moins au fur et à mesure de son développement. Au pire, on peut perdre la motivation et abandonner le projet face aux difficultés, au mieux on arrivera à le revendre, mais quoi qu’il en soit le projet ne nous anime plus vraiment sur la durée.

Pour avoir conscience de sa raison d’être il faut souvent prendre du recul

Comme la “raison d’être” est souvent de l’ordre de l’instinctif au moment de l’émergence d’une idée ou d’un projet, je conseille fortement de prendre rapidement un temps pour faire un peu d’introspection (je raconte ici mes trois exercices favoris pour le faire). L’objectif c’est de prendre un peu de recul et de se poser la question “pourquoi ce projet ?”, afin de ne pas l’oublier dans la durée.

Pour ma part j’aime chercher la raison d’être en suivant une structure à trois niveaux : la vision, les convictions et la mission [je l’explique ici]. Ces trois “ingrédients” permettent de se questionner de trois manières différentes pour aller le plus loin possible. Par ailleurs, ensemble ils expriment le projet en envoyant trois messages différents et complémentaires.

La vision c’est ce monde auquel on aspire. Ça permet d’imaginer un monde dans lequel notre projet n’aurait aucune chance de fonctionner, mais ça permet aussi de se demander ce qu’on veut véritablement apporter à nos utilisateurs, quel est le besoin qu’on cherche à combler. En se projetant ainsi dans un monde “utopique”, on se libère de toutes contraintes et on peut se demander véritablement ce qu’on veut apporter à travers ce projet. Les convictions et la mission vont ensuite apporter de la consistance en revenant au projet concrètement.

La mission permet d’expliquer comment nous voulons atteindre cette vision (notre produit ou prestation), pour qui on le fait (nos bénéficiaires), et l’impact recherché. Elle est cohérente avec la vision mais elle est plus précise. Elle est plus concrète et s’approche de la réalité pour favoriser la mise en œuvre du projet. La vision est indispensable pour élever le projet et la mission le rend opérationnel.

Enfin, les convictions permettent de faire le lien entre les deux et d’apporter une logique permettant à chacun de mieux se l’approprier. Une conviction n’a pas besoin d’être extraordinaire et de nous animer depuis notre enfance. Ce n’est même pas une certitude. C’est simplement tout ce que l’on croit qui permet de construire un projet. C’est la réponse à la question “Pourquoi?” pour chaque ingrédients de notre projet. Les premières convictions viennent défendre la vision et les suivantes viennent petit à petit expliquer la manière de faire (la mission).

J’encourage même à une certaine “radicalité” en questionnant ce qui paraît parfois non questionnable (exemple : pourquoi défendre la diversité ou la liberté). L’objectif c’est de chercher la conviction la plus profonde, le postulat initial qui permet de défendre le projet.

Pour illustrer cette structure voici l’exemple du collectif de facilitateur Instinkto dont je fais parti

http://instinkto.fr/

Quoi qu’il en soit, comme tout modèle, celui-ci (#Vision / #Convictions / #Mission) est intéressant pour structurer votre réflexion et introspection. Il faut ensuite savoir s’en affranchir selon le moment et la façon dont on l’exprime ainsi que les personnes à qui il est destiné. Car une fois qu’on a pris conscience de la véritable raison d’être du projet, la meilleure manière de faire en sorte de ne pas s’en écarter, c’est de la partager un maximum.

Si prendre le temps d’un peu d’introspection est bien souvent essentiel pour identifier ce qui nous anime véritablement, il reste important de la partager et d’en faire un véritable outil stratégique.

Bref, pour conclure j’encourage vivement à prendre un peu de recul sur son projet, quel qu’il soit, à se demander “pourquoi celui-ci ?”, “qu’est ce qui m’anime ?” ou encore “à quoi ressemblerait un monde dans lequel mon projet n’aurait aucune raison d’exister ?”. Pour finaliser la métaphore que j’ai filée dans chacune des images de cet article, la raison d’être c’est le haut de la montagne. Lorsqu’on part en expédition, on ne sait pas toujours comment on va y aller et le chemin va dépendre des conditions, mais on sait toujours là où on veut aller.

Chez Ticket for Change (une association qui accompagne des entrepreneurs sociaux), l’équipe a l’habitude de répéter aux entrepreneurs qu’ils accompagnent de “tomber amoureux du problème et pas de la solution”. Je ne peux qu’aller dans la même direction:

Détachez-vous de votre idée et de votre solution et revenez à l’instinct qui vous a poussé à lancer ce projet.

Et la prochaine fois que vous croisez quelqu’un, ne lui demandez pas ce qu’il fait, mais pourquoi il le fait

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Maxime de Beauchesne

Mon fils aura 30 ans en 2050.Je suis en quête de justesse guidé par mes idéaux. Je crois en l'humain mais considère avant tout comme un vivant parmi les vivants